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Et Nele, sans rien dire, lui jeta les bras autour du cou. Elle auſſi semblait folle, elle pleurait, riait, & rouge de grand & doux plaiſir, elle diſait seulement : Thyl ! Thyl ! Ulenſpiegel, heureux, la regardait, puis elle le laiſſait, s’allait placer un peu plus loin, le contemplait joyeuſe & de là s’élançait de nouveau sur lui, lui jetant les bras autour du cou ; & ainſi pluſieurs fois. Il la soutenait bien heureux, ne sachant se séparer d’elle, juſqu’à ce qu’elle tomba sur une chaiſe, laſſe & comme hors de sens ; & elle diſait sans honte :

— Thyl ! Thyl ! mon aimé, te voilà donc revenu !

Lamme était debout à la porte ; quand Nele fut calmée, elle dit, le montrant :

— Où ai-je vu ce gros homme ?

— C’eſt mon ami, dit Ulenſpiegel. Il cherche sa femme en ma compagnie.

— Je te reconnais, dit Nele, parlant à Lamme ; tu demeurais rue du Héron. Tu cherches ta femme, je l’ai vue à Bruges, vivant en toute piété & dévotion. Lui ayant demandé pourquoi elle avait fui si cruellement son homme, elle me répondit : « Telle était la sainte volonté de Dieu & l’ordre de la sainte Pénitence, mais je ne puis vivre avec lui déſormais ».

Lamme fut triſte à ce propos & regarda les fèves au vinaigre. Et les alouettes, chantant, s’élevaient dans le ciel & Nature pâmée se laiſſait careſſer par le soleil. Et Katheline piquait tout autour du pot, avec sa cuiller, les fèves blanches, les coſſes vertes & la sauce.


XLIII


En ce temps-là, une fillette de quinze ans alla de Heyſt à Knokke, seule en plein jour, dans les dunes. Nul n’avait de crainte pour elle, car on savait que les loups-garous & mauvaiſes âmes damnées ne mordent que la nuit. Elle portait, en un sachet, quarante-huit sols d’argent valant quatre florins carolus, que sa mère Toria Pieterſon, demeurant à Heyſt, devait, du fait d’une vente, à son oncle, Jan Rapen, demeurant à Knokke. La fillette, nommée Betkin, ayant mis ses plus beaux atours, s’en était allée joyeuſe.