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Mais les filles ne voulurent point boire avec elle.

Et Gilline prit la viole & chanta en français :

Au son de la viole,
Je chante nuit & jour ;
Je suis la fille-folle,
La vendeuſe d’amour.

Aſtarté de mes hanches
Fit les lignes de feu ;
J’ai les épaules blanches,
Et mon beau corps eſt Dieu.

Qu’on vide l’eſcarcelle
Aux carolus brillants :
Que l’or fauve ruiſſelle
À flots sous mes pieds blancs.

Je suis la fille d’Ève,
Et de Satan vainqueur,
Si beau que soit ton rêve,
Cherche-le dans mon cœur.

Je suis froide ou brûlante,
Tendre au doux nonchaloir ;
Tiède, éperdue, ardente,
Mon homme, à ton vouloir.

Vois, je vends tout : mes charmes,
Mon âme & mes yeux bleus ;
Bonheur, rires & larmes,
Et la Mort si tu veux.

Au son de la viole,
Je chante nuit & jour ;
Je suis la fille-folle,
La vendeuſe d’amour.

Et chantant sa chanſon, la Gilline était si belle, si suave & mignonne, que tous les hommes, happe-chair, bouchers, Lamme & Ulenſpiegel étaient là, muets, attendris, souriant, domptés par le charme.

Tout à coup, éclatant de rire, la Gilline dit, regardant Ulenſpiegel :

— C’eſt comme cela qu’on met les oiſeaux en cage.

Et son charme fut rompu.

Ulenſpiegel, Lamme & les bouchers s’entre-regardèrent :