Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chacun. Nous le soutiendrons juſqu’à la mort, & gagnerons plus d’une gageure. Trempez les verges dans le vinaigre. Voici que ton pourpoint eſt enlevé. L’heure sonne à Saint-Jacques. Neuf heures. Au dernier coup, si tu n’as pas fait ton choix, nous frapperons.

Lamme tranſi diſait :

— Ayez de moi pitié & miſéricorde, j’ai juré fidélité à ma pauvre femme & la garderai, quoiqu’elle m’ait laiſſé bien vilainement. Ulenſpiegel, à l’aide, mon mignon !

Mais Ulenſpiegel ne se montrait point.

— Voyez-moi, diſait Lamme aux filles folles, voyez-moi à vos genoux. Y a-t-il poſe plus humble ? N’eſt-ce aſſez dire que j’honore, comme des saints, vos beautés grandes ? Bienheureux qui, n’étant point marié, peut jouir de vos charmes ! C’eſt le paradis sans doute ; mais ne me battez point, s’il vous plaît.

Soudain la baeſine, qui se tenait entre ses deux chandelles, parla d’une voix forte & menaçante : — Commères & fillettes, dit-elle, je vous jure mon grand diable que si, dans un moment, vous n’avez point, par rire & douceur, mené cet homme à bien, c’eſt-a-dire dans votre lit, j’irai quérir les gardes de nuit & vous ferai toutes ici fouetter à sa place. Vous ne méritez point le nom de filles d’amoureuſe vie, si vous avez en vain la bouche leſte, la main libertine & les yeux flambants pour agacer les mâles, ainſi que font les femelles des vers luiſants qui n’ont de lanterne qu’à cet uſage. Et vous serez fouettées sans merci pour votre niaiſerie.

À ce propos, les filles tremblèrent & Lamme devint joyeux.

— Or ça, dit-il commères, quelles nouvelles apportez du pays des cinglantes lanières ? Je vais moi-même quérir la garde. Elle fera son devoir, & je l’y aiderai. Ce me sera plaiſir grand.

Mais voici qu’une mignonne fillette de quinze ans se jeta aux genoux de Lamme :

— Meſſire, dit-elle, vous me voyez ici devant vous humblement réſignée ; si vous ne daignez choiſir perſonne d’entre nous, devrai-je être battue pour vous, monſieur. Et la baeſine qui eſt là me mettra dans une vilaine cave, sous l’Eſcaut, où l’eau suinte du mur, & où je n’aurai que du pain noir à manger.

— Sera-t-elle vraiment battue pour moi, madame la baeſine ? demanda Lamme.

— Juſqu’au sang, répondit celle-ci.