Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trou, entre les rochers, leur laiſſant leurs armes & leurs habits, sauf le manteau.

Et tout autour d’eux, dans le ciel, croaſſaient les corbeaux attendant leur pâture.

Et la Sambre coulait comme fleuve d’acier sous le ciel gris.

Et la neige tomba, lavant le sang.

Et ils étaient soucieux toutefois. Et Lamme dit :

— J’aime mieux tuer un poulet qu’un homme.

Et ils remontèrent sur leurs ânes.

Aux portes de Huy, le sang coulait toujours ; ils feignirent de se prendre de querelle, deſcendirent de leurs ânes & s’eſcrimèrent de leurs bragmarts, bien cruellement en apparence ; puis ayant ceſſé le combat, ils remontèrent & entrèrent dans Huy après avoir montré leurs paſſes aux portes de la ville.

Les femmes voyant Ulenſpiegel bleſſé & saignant, & Lamme jouant le vainqueur sur son âne, regardaient avec tendre pitié Ulenſpiegel & montraient le poing à Lamme, diſant : « Celui-ci eſt le vaurien qui bleſſa son ami. »

Lamme, inquiet, cherchait seulement parmi elles s’il ne voyait point sa femme.

Ce fut en vain, & il braſſa mélancolie.


XXIII


— Où allons-nous ? dit Lamme.

— A Maeſtricht, répondit Ulenſpiegel.

— Mais, mon fils, on dit que l’armée du duc eſt là tout autour, & que lui-même se trouve dans la ville. Nos paſſes ne nous suffiront point. Si les soudards eſpagnols les trouvent bonnes, nous n’en serons pas moins retenus en ville & interrogés. Dans l’entre-temps ils apprendront la mort des prédicants & nous aurons fini de vivre.

Ulenſpiegel répondit :

— Les corbeaux, les hiboux & les vautours auront bientôt fini de leur viande ; déjà, sans doute, ils ont le viſage méconnaiſſable. Quant à nos