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— Ho ! un toit ! Ma pauvre femme ! Où êtes-vous, bon feu, doux baiſers & soupes graſſes ?

Et il pleurait, le gros homme.

Mais Ulenſpiegel :

— Nous nous lamentons, dit-il, n’eſt-ce pas de nous-même, toutefois, que nous viennent nos maux ? Il pleut sur nos épaules, mais cette pluie de décembre fera trèfles de mai. Et les vaches meugleront d’aiſe. Nous sommes sans abri, mais que ne nous mariions-nous ? Je veux dire, moi, avec la petite Nele, si belle & si bonne, qui me ferait maintenant une bonne étuvée de bœuf aux fèves. Nous avons soif malgré l’eau qui tombe, que ne nous fîmes-nous ouvriers conſtants en un seul état ? Ceux qui sont reçus maîtres ont dans leurs caves de pleins tonneaux de bruinbier.

Les cendres de Claes battirent sur son cœur, le ciel se fit clair, le soleil y brilla, & Ulenſpiegel dit :

— Monſieur du soleil, grâces vous soient rendues, vous nous réchauffez les reins ; cendres de Claes, vous nous réchauffez le cœur, & nous dites que ceux-là sont bénis qui vaguent pour la délivrance de la terre des pères.

— J’ai faim, dit Lamme.


XIX


Ils entrèrent dans une auberge, on leur y donna à souper dans une salle haute. Ulenſpiegel, ouvrant les fenêtres, vit de là un jardin où se promenait une fillette avenante, bien en chair, les seins ronds, la chevelure dorée, & vêtue seulement d’une cotte, d’une jacque de toile blanche & d’un tablier troué de toile noire.

Des chemiſes & autres linges de femme blanchiſſaient sur des cordes ; la fillette, se tournant toujours vers Ulenſpiegel, ôtait des chemiſes des cordes, les y remettait, & souriant, & le regardant toujours, s’aſſeyait sur des bandes de linge, se balançant sur les deux bouts noués.

Dans le voiſinage Ulenſpiegel entendait chanter un coq & voyait une nourrice jouant avec un enfant dont elle tournait la face vers un homme debout, diſant :

— Boelkin, faites des petits yeux à papa.