Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

boſſes, trêve de contrefaits, amniſtie d’humiliations. Ôtez nos boſſes, Monſieur saint Remacle !

Le doyen commanda à Ulenſpiegel de deſcendre du tombeau & de se frotter la boſſe contre le bord de la table. Ulenſpiegel le fit, diſant toujours « meâ culpa, confiteor, ôtez ma boſſe ». Et il la frottait très-bien au vu & su des aſſiſtants.

Et ceux-ci de crier :

— Voyez-vous la boſſe, elle plie ! voyez-vous, elle cède ! elle va fondre à droite. — Non, elle rentrera dans la poitrine ; les boſſes ne se fondent pas, elles deſcendent dans les inteſtins d’où elles sortent. — Non, elles rentrent dans l’eſtomac où elles servent de nourriture pour quatre-vingts jours. — C’eſt le cadeau du saint aux boſſus débarraſſés. — Où vont les vieilles boſſes ?

Soudain tous les boſſus jetèrent un grand cri, car Ulenſpiegel venait de crever sa boſſe en s’appuyant lourdement sur le bord de la table du tombeau. Tout le sang qui était dedans tomba, coulant de son pourpoint, à groſſes gouttes, sur les dalles. Et il s’écria, se redreſſant en étendant les bras :

— Je suis débarraſſé !

Et tous les boſſus de s’écrier enſemble :

— Monſieur saint Remacle le bénit, c’eſt doux à lui, dur à nous. — Monſieur, ôtez nos boſſes ! — Moi, je vous offrirai un veau. — Moi, sept moutons. — Moi, la chaſſe de l’année. — Moi, six jambons. — Moi, je donne ma chaumine à l’égliſe. — Ôtez nos boſſes, Monſieur saint Remacle !

— Et ils regardaient Ulenſpiegel avec envie & reſpect. Il y en eut un qui voulut tâter sous son pourpoint, mais le doyen lui dit :

— Là eſt une plaie qui ne peut voir la lumière.

— Je prierai pour vous, dit Ulenſpiegel.

— Oui, pèlerin, diſaient les boſſus parlant tous enſemble, oui, monſieur le redreſſé, nous nous sommes gauſſés de vous, pardonnez-le-nous, nous ne savions ce que nous faiſions. Monſeigneur Chriſt a pardonné sur la croix, baillez-nous auſſi pardon.

— Je pardonnerai, diſait bénévolement Ulenſpiegel.

— Donc, diſaient-ils, prenez ce patard, acceptez ce florin, laiſſez-nous bailler ce réal à Votre Droiture, lui offrir ce cruſat, mettre en ses mains ces carolus…

— Cachez bien vos carolus, leur diſait tout bas Ulenſpiegel, que votre main gauche ignore ce que votre droite donne.