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Soudain il se fit un grand mouvement parmi les phoques, qui rentrèrent en hâte dans l’eau, les ours, qui, couchant l’oreille de peur, mugirent lamentablement, & les corbeaux qui, croaſſant d’angoiſſe, se perdirent dans les nuées.

Et voici que Nele & Ulenſpiegel entendirent les coups sourds d’un bélier sur le mur de glace servant d’appui au géant Hiver. Et le mur se fendait & oſcillait sur ses fondements.

Mais le géant Hiver n’entendait rien, & il hurlait & aboyait joyeuſement, rempliſſait & vidait sa coupe d’huile, & il cherchait le cœur de la terre pour le glacer & n’oſait le prendre.

Cependant les coups réſonnaient plus fort & le mur se fendait davantage, & la pluie de glaçons volant en éclats ne ceſſait de tomber autour de lui.

Et les ours mugiſſaient sans ceſſe lamentablement, & les phoques se plaignaient dans les eaux mornes.

Le mur croula, il fit jour dans le ciel : un homme en deſcendit, nu & beau, s’appuyant d’une main sur une hache d’or. Et cet homme était Lucifer, le roi Printemps.

Quand le géant le vit, il jeta loin sa coupe d’huile, & le pria de ne le point tuer.

Et au souffle tiède de l’haleine du roi Printemps, le géant Hiver perdit toute force. Le roi prit alors des chaînes de diamants, l’en lia & l’attacha au pôle.

Puis s’arrêtant, il cria, mais tendrement & amoureuſement. Et du ciel deſcendit une femme blonde, nue & belle. Se plaçant près du roi, elle lui dit :

— Tu es mon vainqueur, homme fort.

Il répondit :

— Si tu as faim, mange ; si tu as soif, bois ; si tu as peur, mets-toi près de moi : je suis ton mâle.

— Je n’ai, dit-elle, faim ni soif que de toi.

Le roi cria encore sept fois terriblement. Et il y eut un grand fracas de tonnerre & d’éclairs, & derrière lui se forma un dais de soleils & d’étoiles. Et ils s’aſſirent sur des trônes.

Alors le roi & la femme, sans que leur noble viſage bougeât & sans qu’ils fiſſent un geſte contraire à leur force & à leur calme majeſté, crièrent.

Il y eut à ces cris un onduleux mouvement dans la terre, la pierre dure & les glaçons. Et Nele & Ulenſpiegel entendirent un bruit pareil à celui que