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Jan de Zuurſmoel dit à Ulenſpiegel :

— Chaque fois que tu verras de cette laide plante, il la faut vilipender honteuſement, car c’eſt elle qui sert aux roues & aux potences.

— Je la vilipendrai, répondit Ulenſpiegel.

Jan de Zuurſmoel, étant un jour à table avec quelques amis de gueule, le cuiſinier dit à Ulenſpiegel :

— Va dans la cave & prends-y du zennip, qui eſt de la moutarde.

Ulenſpiegel, entendant malicieuſement kennip au lieu de zennip, vilipenda honteuſement le pot de zennip dans la cave & revint le porter sur la table, non sans rire.

— Pourquoi ris-tu ? demanda Jan de Zuurſmoel. Penſes-tu que nos naſeaux soient d’airain ? Mange de ce zennip, puiſque toi-même tu l’as préparé.

— J’aime mieux des grillades à la cannelle, répondit Ulenſpiegel.

Jan de Zuurſmoel se leva pour le battre.

— Il y a, dit-il, du vilipendement dans ce pot de moutarde.

Baes, répondit Ulenſpiegel, ne vous souvient-il plus du jour où j’allais vous suivant au bout de votre clos ? Là, vous me dites, en me montrant le zennip : « Partout où tu verras cette plante, vilipende-la honteuſement, car c’eſt elle qui sert aux roues & aux potences. » Je la vilipendai, baes, je la vilipendai avec grand affront ; n’allez pas me meurtrir pour mon obéiſſance.

— J’ai dit kennip & non zennip, s’écria furieuſement Jan de Zuurſmoel

Baes, vous avez dit zennip & non kennip, repartit Ulenſpiegel.

Ils se diſputèrent ainſi pendant longtemps, Ulenſpiegel parlant humblement ; Jan de Zuurſmoel criant comme un aigle & mêlant enſemble zennip, kennip, kemp, zemp, zemp, kemp, zemp, comme un écheveau de soie torſe.

Et les convives riaient comme des diables mangeant des côtelettes de dominicains & des rognons d’inquiſiteurs.

Mais Ulenſpiegel dut quitter Jan de Zuurſmoel.