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malheureux ne craignent ni les aſſaſſins, ni les voleurs ; la loi n’eſt pas faite pour eux ; c’eſt contre eux qu’elle ſemble faite ; l’extrême ignorance ou la miſere les plonge, en fait un piége caché dans lequel ils peuvent tomber ſans le ſavoir, & mille tentations, filles, non de la fantaiſie ni des deſirs immodérés, mais des beſoins les plus naturels comme les plus urgens, les y pouſſent. Il faudroit les récompenſer quand ils ne ſont pas coupables, tant ils ont de motifs de l’être ; & au lieu de l’indulgence qu’ils devroient attendre ils ne trouvent que rigueur, & eux ſeuls la trouvent cette rigueur ! Et nous, favoriſés par la loi autant que par la fortune, nous, à qui la loi ne devroit rien pardonner, nous obtenons qu’elle plie & ſe détourne, quand il s’agit de punir nos attentats !

L’on oſe dire qu’une peine flétriſſante eſt plus grave, quand elle tombe ſur un homme bien né, que lorſqu’elle tombe ſur un homme du peuple : qu’elle punit dans le premier cas une famille entière & la punit d’autant plus cruellement que cette famille eſt plus