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n’existait pas encore, vivait ici une orpheline, très belle et très riche. On dit qu’elle avait son château à cette place.

On prétend aussi qu’elle était fiancée à un jeune officier de marine qui naviguait en de lointaines mers.

Tous les jours, elle allait par les dunes contempler les eaux et, là, elle se recueillait longtemps.

Sa pensée s’envolait vers celui qui occupait seul son cœur d’orpheline et elle priait pour lui.

On dit encore que le marin périt sous les tropiques… mais qu’elle ne le sut jamais.

Elle allait, comme par le passé, perdue dans son rêve d’amour, criant à la mer le nom de l’aimé disparu. Pour elle, l’océan était la route qu’il avait prise, celle où elle le verrait revenir un jour, dans l’or d’un couchant glorieux et mystique…

La mer seule avait ses confidences, elle seule voyait ses pleurs. Parfois aussi, elle s’attardait le soir sous les étoiles. Elle leur demandait de ramener son époux, de le protéger. Mais elle ignorait que d’autres constellations, plus claires, brillaient sur les flots qui l’avaient à jamais englouti.

Elle voyait des voiles étrangères apparaître à l’horizon, comme sorties de l’infini. Alors, elle espérait encore…

Enfin, son cœur se lassa d’attendre. Sa raison s’envola par-dessus les flots gris du Nord.

Elle fit démolir son château et construire une église sur les fondations. Elle habita seule une masure dans les dunes.

Elle désira vivre en une communion constante avec le souvenir de l’autre. Elle voulut aller le rejoindre. Et cette idée l’obséda chaque jour davantage.

Une nuit, elle descendit la dune et marcha vers la mer. Elle y entra et avança… avança.