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Une vapeur alors sortit de l’eau, flotta un instant à la surface, et poussée par la brise, glissa vers le rivage. Et de ce nuage, une voix douce comme celle d’une femme se fit entendre :

— Que veux-tu ? demanda-t-elle au jeune homme stupéfait.

— Suis-je vivant ? N’es-tu pas l’illusion d’un songe menteur ?

— Parle vite ! dit encore la voix.

— Oh ! si tout ceci est la réalité, s’il est vrai que la fumée parle, daigne écouter ma prière !

La nuit tombait peu à peu. Wobasso était brave ; l’apparition étrange ne le fit pas trembler.

Il commença son récit :

— Il y a, dans un village voisin, une jeune fille pour laquelle mon cœur a battu. La première fois que je l’ai vue, j’ai entendu l’amour chanter son éternelle romance. Dès lors, le ciel m’a paru plus bleu, la neige des monts plus blanche. J’ai rêvé au bord du ruisseau qui fuit sous la ramée, et le soir j’ai contemplé les étoiles du ciel. Je suis un chef dans ma tribu et beaucoup de jeunes filles auraient consenti à devenir ma femme, mais c’est elle que j’aimais, c’est Sebowisha que je désirais de toutes mes forces. Hélas ! la cruelle se rit de mon amour. On dirait qu’elle se plaît à me voir souffrir. Et moi, moi Wobasso, je reviens sans cesse l’implorer ! Ah ! je ne suis plus un homme, loin de moi cet arc, ces flèches…

— Mon fils, dit la douce voix, l’amour est le tyran des hommes. Les plus grands héros de ta race ont souffert comme tu souffres… Mais je veux punir la coquette ! Suis-moi !