Page:De Broyer - Feuillets épars, contes, 1917.djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Vingt ans ! Ces mots avaient saisi la jeune fille. Elle eut envie de crier à cette vieille bavarde : « Mais je les ai, moi, mes vingt ans ! Aujourd’hui même ! » Pourtant, les sons s’arrêtèrent dans la gorge. L’autre parlait toujours :

« Oh ! ma sœur, quand j’avais cet âge, comme j’étais jolie et bien faite… Et c’est l’année de mon mariage avec Jean-Pierre… Ah ! c’était le bon temps… Il faut en profiter, n’est-ce pas ? Oh ! pardon, j’oubliais. »

Honteuse, la vieille se tut. On arrivait et elles se séparèrent. Sœur Saint-André dut encore marcher cinq minutes par des rues populeuses et sales, où de petits voyous narquois la saluaient en riant.

Enfin, c’était là…

L’entrée était basse et le corridor répugnant. Deux commères devisaient sur le pas de la porte : « Ah ! voilà ma sœur… C’est au deuxième, ma sœur. Prenez garde de tomber dans l’escalier, ma sœur… »

Dans la chambre flottait un relent de potions et de soupe aux choux. Quand sœur Saint-André entra, un homme lisait près de la table. Il se leva, vint lui souhaiter le bonsoir, montrant sa femme couchée sur le lit. Elle était à la mort Le médecin ne croyait pas qu’elle passerait la nuit… L’homme expliquait cela sans grande émotion. Il dit encore qu’étant très fatigué, il allait se reposer chez un voisin obligeant. Sœur Saint-André s’assit près de la moribonde et l’examina. C’était une femme de près de cinquante ans, très pâle, ses cheveux gris répandus sur l’oreiller. Elle dormait…

De la rue montaient des cris et des rires attardés. On entendait des voix de buveurs, sorties des cabarets, en face.