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cette heure surprend mille bruits confus qui peuplent ce silence séculaire. Les plaines sont noyées d’ombre, seule les hauteurs d’Aiglymort retiennent les derniers feux et les regards se portent vers ce refuge du jour. Alors le présent se souvient du passé.

L’histoire du château s’est enjolivée de légendes, le paysan en a fait une épopée naïve et vibrante de poésie.

L’imagination a relevé les courtines crénelées, flanquées de tours, reconstruit le donjon massif, repeuplé les salles de leurs hôtes à jamais disparus.

Le souvenir des seigneurs d’Aiglymort est familier à toute la contrée.

Ils revivent dans les chansons, dans les expressions de patois.

L’histoire les a presque oubliés. Elle mentionne à peine le plus illustre d’entre eux, Jehan iv, qui fit à pied et sans escorte le grand voyage à Rome pour le pardon de ses péchés.

C’est la légende de sa femme Gilberte que je vais raconter.

Avant d’entreprendre son long et périlleux voyage, Jehan confia ses domaines et sa jeune épouse à Regnier, son cousin.

Il partit un matin. La rosée laissait aux herbes des larmes d’argent. Il montait de la terre, sa terre, un sauvage parfum qui le grisait. Et pourtant il allait heureux, poussé par le désir de toute son époque de visiter la ville immortelle. Quand il se retournait, il voyait l’écharpe blanche de Gilberte lui faire adieu du haut du donjon. Elle s’agita longtemps sur le ciel bleu, comme l’aile d’un grand oiseau, puis disparut