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Cette femme, véritable ruine, cassée, se soutenait à peine sur un bâton noueux.

Misérablement vêtue, tout son être exprimait la souffrance et l’attente de la mort. Je l’avais déjà vue plusieurs fois se traînant sur la digue et fixant son œil terne sur l’horizon comme si elle pouvait voir encore…

Elle disparut dans la cuisine et revint bientôt avec un paquet. Lorsqu’elle fut sortie, le père frappa le fourneau de sa pipe contre la paume de sa main. Puis il but à grands traits et commença :

— Vous venez de voir cette vieille. Est-elle assez sale, repoussante ! Eh bien, lorsque j’avais dix-huit ans, cette femme était la plus jolie fille d’ici !

C’était en 1845 ; son père, riche patron, ambitionnait pour sa fille un beau parti. Oh ! ce n’était pas que les prétendants lui manquassent, mais ce vieil avare espérait-il un comte ou un marquis ? Netke n’avait pas attendu aussi longtemps le prince charmant. Elle aimait, elle adorait un pêcheur, Hans, oh ! pas bien riche, mais honnête, un de ces hommes comme la mer sait en faire. Lui avait voué à Netke un amour sans bornes.

Ici, tout le monde désirait leur bonheur.

Le père, hélas ! ne l’entendait pas ainsi, ce n’était pas ce qu’il avait rêvé.

Et le temps passait ainsi en cruelles déceptions pour nos deux amoureux. Netke dépérissait. Cela faisait peine à la voir passer, pâle et triste. Jamais on ne la voyait danser le dimanche et ses yeux semblaient vouloir pleurer toujours.

Un soir pourtant, Hans décida qu’il irait le lendemain demander la main de Netke à son père. Enfin, le rouge