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MEMOIRES SECRETS.

on élaborait chez elle les nouvelles courantes, on en rassemblait les circonstances, on en pesait les probabilités, on les passait, autant qu’on pouvait, à la filière du sens et de la raison ; on les rédigeait ensuite, et elles acquéraient un caractère de vérité si connu, que, qu’on voulait s’assurer de la certitude d’une narration, on se demandait : « Cela sort—il de chez madame Doublet ? » Au reste, sa réputation avait un peu dégénéré de ce côté en vieillissant, elle avait perdu beaucoup de ses amis du premier mérite, et avait survécu à toute sa société habituelle. M. de Bachaumont est le dernier philosophe qu’elle ait vu mourir[1].

Il est difficile qu’au milieu de ce savant tourbillon qui l’entourait, madame Doublet ne passât pas pour être un peu entichée de déisme, de matérialisme et même d’athéisme. Elle avait bravé jusque-là l’opinion publique et les clameurs des dévots. Depuis le carême dernier, la tête de cette dame s’affaiblissant, M. le curé de Saint-Eustache avait cru qu’il était temps de convertir sa par.oissienne. Celle-ci n’était plus en état d’argumenter contre lui, et avec le secours de la grâce, le pasteur s’était flatté d’avoir réussi. En effet, elle avait reçu le bon dieu la semaine sainte : pratique de religion que personne de sa connaissance ne se rappelait lui avoir vu faire. On conçoit aisément qu’avec de pareils préparatifs, elle n’a pu qu’éprouver une mort très-édifiante et s’endormir dans le Seigneur.

17. — Entre cette multitude de brochures qui se succèdent sans interruption, et auxquelles travaillent infatigablement les écrivains que M. le chancelier a daigné s’associer pour coopérateurs de son sublime système, il faut

  1. V. 2 mai 1771. R.