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JUIN 1770.


Le voilà donc ce petit virtuose,
Toujours s’aimant, sans avoir de rivaux,
Écrivaillant, soit en vers, soit en prose,
Et sous Lacombe alignant ses journaux !
Comme aux sifflets chaque jour il s’expose !
Pour deux écus aux badauds de Paris,
Il vend en vain des Césars travestis,
C’est pour tomber qu’il joute avec La Pause[1].
Ce grand auteur, si j’en crois ses écrits,
De ses héros fait mal l’apothéose :
Timoléon meurt le jour qu’il est né.
Pour Mélanie, on baille à bouche close
En admirant ce drame fortuné ;
Et Suétone à périr condamné
Va dans la tombe où Gustave repose.

5. — L’acteur qu’on avait annoncé comme devant débuter cet hiver, a paru hier dans la tragédie d’Alzire ; il faisait le rôle de Zamore. Le public, prévenu depuis long-temps de ce début, s’y était porté en foule. Le goût particulier que la demoiselle Clairon avait pris pour lui, et ses soins pour le former, en avaient fait concevoir la plus haute opinion. Ce sujet n’a pas répondu à l’attente générale. Il a toutes les qualités extérieures ; mais sa voix est sourde, et, soit défaut d’organe, soit timidité, ne sortait point du tout. Il a rendu assez bien quelques morceaux de déclamation, talent qu’on acquiert par une grande étude et les leçons des bons modèles ; mais il a paru manquer de chaleur, et a raté tous les endroits de sentimens ; il n’a point d’entrailles : il pourra avec de l’art être un acteur brillant, mais il n’aura jamais ces élans de génie que saisissent les spectateurs dans la demoiselle Dumesnil et le sieur Le Kain.

  1. V. 23 novembre 1770. — R.