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JUIN 1770.

nier, 10 de ce mois, une tragédie nouvelle, intitulée Florinde. L’invasion des Maures en Espagne, appelés par le comte Julien pour venger sa fille, est le sujet de cette pièce, et présentait sans contredit un très-beau canevas ; mais l’auteur n’en a pas profité. Cette tragédie a paru si mauvaise, qu’elle a été huée généralement et a eu beaucoup de peine à finir. L’ouvrage est d’un jeune auteur, nommé Le Fèvre, qui avait donné pour début, en 1767, Cosroes. Quelques amateurs avaient cru reconnaître du talent dans ce jeune homme, et prétendaient qu’il fallait l’encourager : les véritables connaisseurs avaient jugé, au contraire, que c’était un poètereau monstrueux, né pour le malheur des oreilles du public, qu’il fallait étouffer dès sa naissance. Il paraît que ces derniers l’avaient bien décidé : rien de si dur et de si tudesque que sa versification.

15. — Le sieur Paradis de Moncrif, lecteur de la feue reine et de madame la Dauphine, languissait depuis deux mois, ayant les jambes ouvertes ; comme il avait quatre-vingt-deux ans et au-delà, il n’a pas douté que sa fin n’approchât ; mais il l’a envisagée en vrai philosophe ; il s’entretenait de ce dernier moment avec beaucoup de présence d’esprit et sans aucun trouble ; il a ordonné lui-même les apprêts de ses funérailles. Après avoir satisfait à l’ordre public et aux devoirs de citoyen, il a voulu semer de fleurs le reste de sa carrière ; il a toujours reçu du monde : accoutumé à voir des filles et des actrices, il égayait encore ses regards du spectacle de leurs charmes. Ne pouvant plus aller à l’Opéra, où il était habituellement, il avait chez lui de la musique, des concerts, de la danse ; en un mot, il est mort en Anacréon, comme il avait vécu. Presque tous ses ouvrages sont dans