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JUIN 1770.

d’Anhalt, s’est enfermé un de ces jours derniers dans sa chambre avec son chien. Il a brûlé la cervelle de cet animal avec un pistolet, et s’est passé plusieurs fois son épée à travers le corps, mais sans se blesser à mort sur-le-champ : il est tombé en faiblesse, et n’a pu s’achever. Le bruit de l’arme à feu ayant excité une rumeur dans la maison, on est accouru à l’endroit d’où il partait ; on a enfoncé la porte, et l’on a trouvé ce spectacle tragique. On a fait revenir l’officier, qui ne mourra point, à ce qu’on espère. Il paraît que le dégoût de la vie, qui gagne considérablement dans cette capitale, a été la cause de ce suicide. Interrogé pourquoi il avait tué le chien, il a répondu qu’il aimait beaucoup cet animal ; qu’il craignait qu’il ne fût malheureux en lui survivant. Interrogé pourquoi il avait préféré le pistolet pour tuer le chien, il a répondu que c’était par une suite du même attachement qu’il avait choisi de donner à ce compagnon fidèle la mort la plus prompte, la moins douloureuse et la plus sûre ; que pour lui il avait regardé l’épée comme un instrument du trépas plus digne de lui. On voit par là que l’extravagance même de l’officier était combinée et réfléchie. On ne peut se rendre raison d’un sang-froid aussi extraordinaire. On accuse de nouveau la philosophie du jour, comme autorisant de pareils forfaits, et comme les encourageant d’une manière trop sensible par l’expérience.

29. — L’Épître du sieur Dorat à mademoiselle Dervieux, qui paraît tomber indirectement sur mademoiselle Guimard, a excité la jalousie de cette dernière danseuse, qui voit ses talens prêts à être éclipsés par les talens naissans de la moderne Hébé. Elle a eu recours à quelque poète à ses ordres, qui a vomi des vers infâmes