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JUIN 1770.

« Vous serez peut-être fâchée contre moi si vous devinez mon logogryphe : cette première partie, qui fait toute mon ambition, le rend bien facile ; mais j’espère que votre colère n’aura plus lieu, lorsque vous voudrez bien vous rappeler que mon respect et mon attachement méritent quelque compassion. »

1er Juillet. — On raconte deux bons mots à l’occasion du Lit de justice[1], car le Français est toujours facétieux : l’un de M. de Choiseul à M. le chancelier, qui s’embarrassait en sortant dans les plis de sa robe : « M. le chancelier, lui dit ce seigneur en riant, prenez garde de tomber » : l’autre, d’un de Messieurs qui, entendant ronfler la trompette avec laquelle il est d’usage d’annoncer les princes à ces sortes d’assemblée… « Qu’entends-je ? c’est, je crois, la trompette du jugement dernier ! »

— J.-J. Rousseau, las de son obscurité et de ne plus occuper le public, s’est rendu dans cette capitale, et s’est présenté, il y a quelques jours, au café de la Régence, où il s’est bientôt attroupé un monde considérable. Notre philosophe cynique a soutenu ce petit triomphe avec une grande modestie. Il n’a pas paru effarouché de la multitude de spectateurs, et a mis beaucoup d’aménité dans sa conversation, contre sa coutume. Il n’est plus habillé en Arménien ; il est vêtu comme tout le monde, proprement, mais simplement. On assure qu’il travaille à nous donner un Dictionnaire de Botanique. La publicité que s’est donnée l’auteur d’Émile est d’autant plus extraordinaire, qu’il est toujours dans les liens d’un décret de prise de corps à l’occasion de ce

  1. Tenu à Versailles, le 27 juin 1770, pour l’enregistrement de lettres-patentes du roi ordonnant le silence le plus absolu sur le procès d’Aiguillon. — R.