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Mai 1770.

9. — C’est aujourd’hui sous le nom de Jean Plokoff, conseiller de Holstein, que M. de Voltaire fait paraître une espèce d’Ode en prose, qu’il donne comme la traduction d’un Poëme de cet Allemand sur les affaires présentes. Ce poëme ou cette ode est un galimatias pindarique, où l’auteur, qui a un égal besoin de louer et de satiriser, et est aussi outré dans un genre que dans l’autre, après avoir fait un éloge emphatique de l’impératrice des Russies, apostrophe durement les autres puissances, et leur reproche de rester dans une honteuse inaction, tandis que cette Sémiramis du Nord est à la veille de faire éclipser le croissant, et de renverser le despote effroyable, l’usurpateur tranquille, assis depuis long-temps sur le trône des Constantins. Il faut avouer que l’apôtre de l’humanité oublie son rôle en ce moment, et prêche la guerre, le carnage et la destruction avec une chaleur, une véhémence bien opposée à tout ce qu’il a écrit depuis quelque temps ; mais ce ne sera malheureusement pas la dernière de ses contradictions.

10. — Depuis que mademoiselle Clairon a paru à la Comédie au préjudice de mademoiselle Dumesnil, il semble que ce passe-droit n’ait servi qu’à enflammer davantage le génie de cette dernière. Elle a joué différens rôles, aux Français, avec une sublimité nouvelle et continue ; elle n’a point eu de ces disparates qui lui étaient si ordinaires, surtout depuis quelques années. Le public, de son côté, a paru la regarder comme plus chère à ses yeux, et elle a été applaudie d’une manière bien propre à la dédommager de la mortification dont on vient de parler.

11. — Le sieur De Rosoy est à la Bastille depuis en-