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MARS 1770.

on a parié, entre M. d’Alembert, l’abbé Raynal, et autres enthousiastes de ce grand homme. La clause, de n’admettre à la souscription que des gens de lettres français est si expresse, que les particuliers même à la table desquels ces messieurs ont conçu cette heureuse idée, ont l’humiliation de ne pouvoir en être, faute d’avoir quelque ouvrage, bon ou mauvais, à produire ; car on n’est pas difficile sur la qualité ni sur la quantité. Il a été arrêté que tous les membres de l’Académie Française seraient tenus pour bons, quoique plusieurs n’eusse fait d’assez mauvais discours de réception. Pigalle, de son côté, s’anime et s’évertue pour produire un chef-d’œuvre digne du héros littéraire qu’il est chargé de transmettre à la postérité, et dont il espère à son tour être célébré dans quelque épître. Il assure que si l’exécution répond à ses désirs, il se regardera comme le plus heureux des artistes ; mais que si l’ouvrage ne répond pas au chef-d’œuvre qu’il imagine, il en mourra de douleur.

15. — Une cérémonie merveilleuse, qui s’exécute de temps immémorial, à la Sainte-Chapelle, la nuit du vendredi au samedi saint, a eu lieu à l’ordinaire, avec une affluence prodigieuse de spectateurs. C’est à minuit que se rendent en cette église tous les possédés qui veulent être guéris du diable qui les tourmente. M. l’abbé de Sailly grand-chantre de cette collégiale, les touche avec du bois de la vraie croix. Aussitôt leurs hurlemens cessent, leur rage se calme, leurs contorsions s’arrêtent, et ils rentrent dans leur état naturel. Les incrédules prétendent que ces énergumènes sont des mendiants qu’on paie pour jouer un pareil rôle et qu’on y exerce de longue main ; mais on ne peut croire que des ministres de la religion se prêtassent à une comédie si indécente. Tout au