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MEMOIRES SECRETS.

sailles sur le théâtre de la ville ; elle n’a pas reçu l’accueil que l’auteur s’en promettait. Il attribue la froideur du public au mauvais jeu des acteurs, et ceux-ci prétendent qu’on ne peut pas déclamer ses vers tudesques. On sera à même d’en juger à Paris : les Comédiens Français ont reçu ordre d’exécuter cette pièce, et c’est la dernière semaine avant Pâques qu’ils doivent la donner au public. Il paraît qu’en général on préfère de beaucoup la Gabrielle de Vergy du même auteur qu’on trouve mieux écrite, mais que les connaisseurs regardent pourtant comme beaucoup moins tragique que le Fayel du sieur D’Arnaud. Le caractère de ce dernier est infiniment plus théâtral, et produit une jalousie plus prononcée pendant toute la pièce.

23. — On continue les quolibets : on dit que M. l’abbé Terray est sans Foi, qu’il nous ôte l’Éspérance et nous réduit à la Charité.

M. l’abbé Terray, malgré les soins du ministère, a aussi des saillies. On raconte qu’un coryphée de l’Opéra pour le chant, pensionnaire du roi, ayant été solliciter le contrôleur-général pour son paiement, il lui avait répondu qu’il fallait attendre ; qu’il était juste de payer ceux qui pleuraient avant ceux qui chantaient.

24. — C’est une fureur pour entendre la lecture de la tragédie de M. de La Harpe, intitulée la Religieuse. On s’arrache cet auteur ; il ne peut suffire aux dîners ou soupers auxquels on l’invite, et dont ce drame fait toujours le meilleur plat. On assure qu’il est très-bien fait, et qu’on ne peut se refuser à s’attendrir jusqu’aux larmes à cette lecture intéressante. Les acteurs sont le père, la mère, la religieuse, l’amant et le curé. Quoi qu’il en soit, ces éloges de coterie sont toujours suspects, et