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JANVIER 1770.

mœurs, de la frivolité, ce qui n’est que l’effet du dégoût, de l’ennui et de l’indignation. La critique la meilleure, la plus vraie et la plus fine de cette pièce, est la pasquinade d’un plaisant, qui a écrit au bas d’une affiche où l’on annonçait les Deux Amis : « Ici l’on joue au noble jeu de Billard[1]. » En effet, ce drame n’est autre chose qu’une apologie des banqueroutiers, où l’on cherche à intéresser en faveur d’un homme de cette espèce, et à donner comme louable, comme vertueuse, comme l’effort de l’amitié la plus héroïque, une infidélité véritable, vicieuse dans son essence, et qui, sous quelque belle couleur qu’on la présente, quelque motif épuré qu’on lui donne, est digne de toute l’animadversion de la justice.

4. — À mesure que les opérations[2] de M. l’abbé Terray se développent, les malédictions publiques s’accumulent sur sa tête. Plusieurs malheureux d’entre le peuple osent, dans leur désespoir, se livrer contre lui, tout haut, aux plaintes les plus énergiques et aux résolutions les plus sinistres. Les magistrats patriotes, à portée de voir ce ministre, ne lui déguisent pas toute l’horreur que leur inspirent la violence et l’arbitraire de ses dispositions. M. le président Hocquart se trouvant à dîner avec lui chez M. le premier président, sur ce que cet abbé, en parlant de ses opérations forcées, prétendait qu’il fallait saigner la France, lui répondit vivement : « Cela se peut, mais malheur à celui qui se résout à en être le bourreau ! »

  1. Le sieur Billard, caissier-général de la Poste, aidé de l’abbé Grizel, son confesseur, venait de faire une banqueroute frauduleuse de plusieurs millions.
  2. Différens Édits bursaux venaient de paraître, qui réduisaient de plusieurs dixièmes les arrérages des effets royaux. — R.