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MEMOIRES SECRETS.

traduit du latin. Il ne l’a pas soigné avec autant de sagesse que la Requête aux magistrats, et l’esprit satirique de l’auteur y perce à chaque page. Cependant il y a d’excellentes choses. Des deux adorateurs dialoguant ensemble, l’un est un profond raisonneur, qui disserte en philosophe sur l’existence de Dieu, son essence, la création du monde, et toutes les autres questions abstraites qui divisent depuis si long-temps les écoles, sans qu’on ait acquis de plus profondes connaissances en métaphysique. L’autre, guidé par une âme vive et active, admire moins et sent davantage. Il s’embarrasse peu de connaître, il demande à jouir : il paraît pénétré de reconnaissance d’être un être végétant, sentant et ayant quelquefois du plaisir. Mais cette même faculté, qui le rend si pénétrable à la joie, le rend susceptible aussi de douleur ; et comme il y a plus de mal que de bien cet univers, il gémit, il se plaint, et voudrait trouver le remède à tant de choses qui l’affligent. C’est alors qu’il se sent obligé d’avoir recours aux réflexions, aux raisonnemens de l’autre, qui lui donne beaucoup d’argumens et aucune consolation réelle : il l’exhorte à se résigner et à espérer ; il croit que tout est nécessaire tout est nécessaire comme cela, et finit par le prier, s’il connaît quelque chose de plus positif, de le lui apprendre. Il résulte pour morale de ce traité, d’après le développement de la façon d’être de chacun des acteurs, que la sensibilité est, sans doute, le don du ciel le plus funeste, et qu’on doit préférer d’ergoter en aveugle comme le premier adorateur, avec une âme froide et sèche, à sentir et à se contrister, ainsi le second, avec un cœur trop ouvert à toutes les impressions. M. de Voltaire, dans un ouvrage court et aussi frivole en apparence, a concentré les con-