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DÉCEMBRE 1768

31. — Assemblée publique de l’Académie Française, tenue le 22 décembre 1768, pour la réception de M. l’abbé de Condillac, à la place de M. l’abbé d’Olivet.

Cette séance a été brillante et nombreuse, mais ce qui l’a rendue plus remarquable, c’est le concours du beau sexe s’y rendant en foule. Indépendamment des tribunes qui étaient garnies de femmes, elles s’étaient répandues dans le reste de l’assemblée et même parmi les hommes. Presque toutes étaient du meilleur ton et d’une figure charmante. MM. les Académiciens ont vu avec complaisance les Grâces assister aux travaux des Muses, et le front des plus sévères s’est merveilleusement déridé à cet aspect.

Le récipiendaire s’est mis, suivant l’usage, au bout de la table, en face du directeur. Il était dans l’étiquette, c’est-à-dire ganté de blanc, un castor neuf à la main. Il l’a mis sur sa tête, l’a ôté, puis remis, et a commencé. Après les premiers lieux communs de modestie, après que son organe affaibli par ce sentiment a eu repris sa force, il s’est jeté brusquement dans une digression sur le développement et les progrès de l’esprit humain dans notre Europe. Ce plan vaste et digne de l’assemblée, s’il eût été exécuté d’une manière neuve et oratoire, a dégénéré en dissertation froide, sèche et alambiquée. Le goût de l’auteur pour la métaphysique l’a fait s’appesantir sur une infinité de points sophistiques, sur l’anatomie de l’esprit humain, dont il a fait une dissection aussi savante qu’ennuyeuse. Cette érudition a paru déplacée dans ce lieu, et ressembler beaucoup à du galimatias. Son style sec, sans rapidité, sans chaleur et sans vie, a répondu parfaitement au genre qu’il avait pris. Après s’être promené