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SEPTEMBRE 1768

sénisme le plus outré ; d’autres ont prétendu que la pièce roulant sur un enlèvement, elle rappellerait une aventure qui a fait beaucoup de bruit cet hiver, et qui intéresse de prés un gentilhomme de la chambre, et qu’on avait cru lui devoir la déférence d’éviter les applications en ne la jouant pas. Il est des gens qui se sont imaginé que mademoiselle Doligny, véritable Laurette de ce drame romanesque, ayant subi un rapt momentané, on lui avait fait sentir l’indécence de se glorifier elle-même sur la scène, et le danger de ranimer contre elle la vengeance d’un seigneur accrédité, qui pourrait trouver mauvais d’être ainsi joué en plein théâtre. Les plus sensés ont voulu que la police se fût tout uniment opposée à la représentation, à cause de l’indécence des mœurs des personnages.

14. — Laurette a reparu sur l’affiche, et a été jouée aujourd’hui. Cette comédie, dans laquelle il n’y a aucune intelligence du théâtre, a été fort mal reçue. Rien de plus gauche que la manière dont l’auteur a transporte ce sujet sur la scène : bien loin d’améliorer le conte, il l’a gâté, rétréci, étranglé ; il a dégradé absolument tous les caractères. Laurette n’est plus naïve ; elle est niaise. Le comte n’est ni amoureux, ni petit-maître, ni scélérat ; c’est un froid débauché, un libertin révoltant ; le père même de la fille perd toute la dignité de son rôle par l’argent qu’il reçoit bassement, et par l’acceptation trop brusque du ravisseur de Laurette pour son gendre. L’article de l’enlèvement est traité de la façon la plus indigne. En un mot, excepté quelques tirades de force et de sentiment dans la bouche du vieillard, excepté une sortie vigoureuse contre les filles, ce drame aurait tombé sans le moindre applaudissement. Le style de l’auteur