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MÉMOIRES SECRETS

cognito ; il se confia à un ami prétendu, qui le trahit ; il fut arrêté et conduit au Mont-Saint-Michel, où il resta trois ans dans la cage, qui n’est point une fable, comme bien des gens le prétendent. C’est un caveau creusé dans le roc, de huit pieds en carré, où le prisonnier ne reçoit le jour que par les crevasses des marches de l’église. M. de Broglie, abbé de Saint-Michel, eut pitié de ce malheureux. Il obtint enfin qu’il eût l’abbaye pour prison. Ce ne fut qu’avec des précautions extrèmes qu’on put le faire passer à la lumière, de cette longue et profonde obscurité. Le caractère de M. Deforges, son esprit et ses qualités personnelles, lui gagnèrent les bonnes grâces de cet abbé, au point d’obtenir son élargissement au bout de cinq ans. Il le donna a son frère, M. le maréchal, en qualité de secrétaire ; et madame la marquise de Pompadour étant morte, il fut fait commissaire de guerre, de la nomination de ce général, suivant le droit de tous le maréchaux de France. M. Deforges avait supporté courageusement sa longue et cruelle captivité. Son esprit n’était point affaibli de tant de disgrâces, et M. le maréchal en faisait grand cas.

16. — La Gréve n’a point désempli depuis quelque temps, et les supplices de toute espèce se sont succédé sans relâche. Ce spectacle affligeant pour l’humanité a réveillé la question si importante de savoir si un homme a le droit d’en faire périr un autre ? On discute de nouveau le code criminel ; on en démontre l’absurdité, l’atrocité. On s’étonne que nos magistrats n’aient pas encore porté au pied du trône leurs représentations sur cette matière. Nos philosophes voudraient qu’on tournât au profit du bien public les bras dont on prive l’État par tant d’exécutions. Ils prétendent avoir résolu toutes les