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AOÛT 1768

après avoir visité ses mains, observé tous les traits du visage du patient, lui étale et lui pronostique une longue suite de prospérités. La dupe enchantée remercie fort le devin, lui donne un écu de six livres, et s’en va fort contente. Le bohémien, piqué d’avoir fait tant de frais pour une si légère récompense, rappelle cet homme, lui ajoute qu’il y a quelque chose qu’il ne lui a pas dit, parce que ce n’est pas un événement aussi heureux que les autres ; que, toute réflexion faite, il est pourtant essentiel qu’il en soit prévenu pour y remédier, s’il est possible. Il lui confirme alors toute la bonne fortune dont il l’a flatté ; mais il lui annonce qu’il aura à trois époques différentes, très-prochaines, trois accès de convulsions, dont le dernier sera si terrible qu’on ne peut savoir s’il en réchappera ; que s’il est assez heureux pour en revenir, il entrera dans un cours de félicités qui durera le reste de ses jours. Le prétendu sorcier quitte à ces mots le pauvre diable, et part comme un trait. Ce malheureux, frappé, retourne à ses amis, auxquels il raconte son aventure : ils veulent en vain le rassurer. Il revient chez lui dans une consternation dont il ne peut se remettre, et, après avoir eu successivement les deux accès de convulsions pronostiqués, il entre dans le troisième, si terrible que tous les médecins n’y peuvent rien. On arecours a M. Petit, philosophe encore plus que médecin, et qui joint à de grandes connaissances de l’anatomie les talens d’un mime consommé. D’après l’exposition de l’état du malade, il se dispose à jouer une farce, dont il attend plus de succès que de ses remèdes. Il se revêt de tout l’appareil d’un Bohémien : accoutrement singulier, longue barbe, extérieur malpropre, baguette à la main, rien n’est omis ; et, s’étant bien mis au fait de toutes les circonstances