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MÉMOIRES SECRETS

— Les amateurs commencent a se préparer pour la vente de la bibliothèque de feu M. Gaignat, ce curieux si recherché qui se piquait de n’avoir que des livres uniques. L’impératrice de toutes les Russies a fait offrir du cabinet de livres entier, d’abord la prisée telle qu’elle a été faite, le quart en sus, ce qu’on voudrait y ajouter pour la fantaisie des acheteurs et des concurrens, enfin deux cent mille livres de pot de vin. La clause du testament de M. Gaignat portant expressément que ces livres soient vendus a l’encan, s’est opposée à des conditions aussi avantageuses. On cite entre autres raretés de ce cabinet, un exemplaire des Contes de La Fontaine, écrit à la main et sur du vélin, dont le travail a coûté dix-huit cents livres. Enfin chaque Conte est enrichi de deux ou trois estampes, plus ou moins, gravées par des jeunes gens habiles que M. Gaignat a pris chez lui, et dont lui seul a eu les planches, qu’il a fait rompre. On estime cet ouvrage complet vingt-cing à trente mille livres.

5. — Le sieur Poinsinet, ce jeune poète brûlant d’une soif de gloire inextinguible, qui a déjà tant fait parler de lui, va de nouveau occuper la scène ; il est question de remettre à l’Opéra son Ernelinde. Comme ce drame roule sur la réunion des trois couronnes du Nord, les directeurs de l’Académie royale ont cru faire leur cour au roi de Danemarck, en faisant jouer cet opéra devant ce prince, qu’on attend à Paris dans quelques mois : s’ils ne flattent ses oreilles, ils espèrent charmer son cœur. D’ailleurs, on assure que le sieur Marmontel s’est chargé de retoucher les paroles : on ne sait s’il est propre a ce genre, et il n’a pas fait preuve jusqu’ici d’une oreille bien lyrique. Quant a la musique, on sait qu’elle a des par-