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MÉMOIRES SECRETS

veau, avec des inscriptions qui les caractérisaient : un quatrième faisait Ernelinde, et portait écrit sur son front femme impie (hémistiche répété souvent) : le cinquième, en habit déguenillé, en mauvaise perruque, avec un domino de papier couvert de vers tirés du poëme, figurait la poésie : le dernier était revêtu d’un domino aussi bariolé de toutes sortes de notes de musique. De ces deux figures la première paraissait se soutenir sur l’autre et la faire chanceler. Ce groupe, après s’être promené beaucoup dans l’assemblée et s’être fait remarquer de tout le monde, s’est rendu au milieu de la salle, et ils sont tombés tous ensemble et tout à plat.

4. — On ne tarit point sur les épigrammes, sarcasmes, quolibets, que s’attire le sieur Poinsinet par sa fatuité et son impudence, malgré la chute générale de son poëme. Il essuya l’autre jour à la Comédie Italienne une mortification bien propre à l’humilier, s’il était susceptible d’humiliation. M. le marquis de Sennecterre, l’aveugle, était au foyer de ce spectacle où la conversation étant tombée sur le nouvel opéra ; il dit à son laquais qui le conduit : « Quand l’auteur paraîtra ici, faites-le venir à moi, que je lui fasse mon compliment. » Poinsinet se présente ; le domestique l’arrête, le mène au marquis qui l’embrasse tendrement, et s’écrie : « Mon cher maître, recevez mon remerciement du plaisir que vous m’avez fait ; votre opéra est plein de beautés, la musique en est délicieuse ; il est fâcheux que vous ayez eu à travailler sur des paroles aussi ingrates. » Et tout le monde de rire.

5. — Deux filles du commun, nées à Compiègne et venues à Paris pour se soustraire à une suite de malheurs, y ont donné, dans leur obscurité, le spectacle rare de l’a-