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MÉMOIRES SECRETS

27. — L’affluence avait prodigieusement diminué aujourd’hui à l’Opéra : à cinq heures et demie on entrait encore facilement dans le parterre, et l’on a pu juger avec plus de réflexion et de tranquillité. On continue à rejeter sur la méchanceté du poëme et des paroles le peu de succès de cet opéra. Ce défaut empêche l’effet des beautés musicales que Philidor a répandues dans son ouvrage, et qui, étant faites pour produire de l’intérêt, n’y réussissent que faiblement, lorsque le charme est détruit par les absurdités. Le grand morceau du musicien est un récitatif obligé, dont on a déjà parlé, et qui aurait pu ramener le spectacle des Euménides d’Eschyle, si ce qui l’occasione eût été plus vrai, ou plus vraisemblable, ou mieux préparé. Ernelinde, forcée par le tyran à choisir entre son père et son amant, se détermine, comme de raison, mais non dans l’ordre des passions, pour son père. Son choix à peine est fait, que la douleur, les remords la tourmentent : elle croit entendre l’ombre de son amant lui reprocher son ingratitude. L’accompagnement de ce récitatif est exécuté en partie par des cors, qui, par des crescendo admirables, peignent à l’imagination les cris d’une ombre plaintive. On trouve encore des duo, un trio, un ou deux chœurs de la plus grande beauté, et, quoi qu’en disent les détracteurs de ce genre, des symphonies et des airs de danse fort agréables dans le ballet de la fin. On se persuade, malgré tout cela, que cet opéra ne se soutiendra pas. Ce serait une grande perte pour les entrepreneurs, qui ont fait beaucoup de dépense.