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SEPTEMBRE 1767

de Voltaire et de Clairon ! Vous prenez bien votre modèle. Cette femme illustre n’a percé qu’à force de travail et d’assiduité. Vous avez, comme elle, des grâces extérieures ; votre esprit peut vous être d’un grand secours. Quant aux rôles auxquels vous devez vous appliquer, il y a bien des choses à examiner, et cela mérite quelques détails. Il faut peser vos talens et ceux des concurrentes que vous aurez. Dans les rôles d’amoureuses, je vois mesdemoiselles Hus et Doligny. La première est peu redoutable ; elle a pourtant quelques situations où elle est très-bien. Le public est si engoué de la seconde, qu’il me paraît difficile d’éclipser cette rivale ! mesdemoiselles Dumesnil, Gauthier et Préville brillent dans le genre plus grave ; mais votre jeunesse vous pourrait faire espérer de voir bientôt les deux premières vous céder la place. La dernière a une froideur que surmonterait aisément votre vivacité. Quatre soubrettes courent la même carrière, et chacune a des talens différens. Madame Bellecour joue les nourrices à merveille ; cette énorme tétonnière a la bonhomie franche d’une appareilleuse qui aime bien à rendre service pour de l’argent. On trouve dans madame Le Kain toute l’aigreur, tout le revêche d’une boudeuse dont il faut saisir le moment. Mademoiselle Fanier a le nez retroussé d’une suivante fine, exercée, et faite pour tromper à la fois trois ou quatre amans. On admire dans mademoiselle Luzi la tournure d’une confidente d’une femme du grand monde ; c’est une malice raffinée, approfondie, réfléchie comme celle de sa maîtresse ; et il faut un art bien supérieur pour atteindre à cette méchanceté sublime. Malgré tout cela, je crois que vous êtes née pour un pareil genre. Je ne vois pour vous à craindre que cette dernière ; et vous pouvez, vous devez même éviter la concurrence. Du reste, vous êtes