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AOUT 1767

semens que reçoivent d’ordinaire les ouvrages couronnés. On y a remarqué peu de faits et beaucoup de digressions longues, qui font de ce discours plutôt une amplification de rhétorique, qu’un précis rapide et serré de la vie de ce monarque, qui tient une place distinguée dans notre histoire. D’ailleurs l’orateur a pris ce ton magistral et chagrin, mis à la mode par M. Thomas, cette censure amère, qui semble transformer l’homme de lettres en un pédant, toujours armé de la férule pour frapper les grands et les rois. Le style est obscur, verbeux, entortillé, plein d’antithèses puériles et qui même ont quelquefois fait rire l’assemblée. Chaque alinéa se termine par une chute épigrammatique. Le lecteur avait soin de la marquer en enflant la voix et se taisant ensuite un moment ; mais rarement l’auditoire a répondu à cet appel par des battemens de mains unanimes. Il y a deux autres discours qui ont approché de celui de M. de La Harpe : ils sont imprimés. M. le directeur a dit ne pas connaître les auteurs.

M. Watelet a rempli la séance par la lecture de deux morceaux de sa traduction du Tasse : l’un, tiré du chant IV, est le conseil des démons contre Godefroy ; l’autre est le seizième chant, c’est-à-dire la description du palais d’Armide, et de ses amours avec Renaud. Le premier tableau exige une touche mâle et ardente, un coloris sombre, fier et terrible. Il faudrait le pinceau même des Grâces pour rendre la délicatesse, la volupté du second. Le crayon du traducteur, sec et sans force, est trop au-dessous de son original. M. Watelet tourne bien un vers ; il est correct, harmonieux même ; mais il n’a ni l’enthousiasme du poète, ni ce velouté qui rend le Tasse si délicieux dans les peintures d’agrément.