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MÉMOIRES SECRETS

touché les vieilles paroles, et composé les nouvelles. Cet ouvrage, mélange de la simplicité du vaudeville avec les broderies savantes de la musique moderne, n’a point répugné aux oreilles des spectateurs, et l’on court avidement à ce monstre harmonique.

16. — Quoique l’aridité de notre barreau ne prête plus aux grands mouvemens de l’éloquence ancienne, il se trouve pourtant encore quelques occasions où nos avocats peuvent déployer les ressorts les plus brillans de l’art oratoire. Me Gerbier en a donné un exemple ce matin. Il faut savoir qu’un nommé Des Vaux, convaincu de friponnerie à l’égard de madame de La Bourdonnais, a été soustrait au supplice par égard pour sa famille. Ce malheureux a une femme honnête, qui n’avait point trempé dans ses coquineries. Séparée de biens de son criminel époux, elle a été dans le cas de soutenir un procès très-bien fondé contre le comte de Brancas. Son avocat adverse a eu la barbarie de rappeler à l’audience le crime de son mari, absolument étranger à la cause. Il croyait par-là indisposer les juges contre elle : mais Me Gerbier, qui avait eu le courage de prendre sa défense, a tellement rétorqué cet argument, il a mis un tel pathétique dans sa réplique, qu’il a fait fondre en larmes les auditeurs, les juges et même son adversaire ; alors saisissant ce moment victorieux, il a tiré ses plus puissans moyens de ce spectacle attendrissant, et a gagné sa cause tout d’une voix.

17. — On continue à s’entretenir de M. J.-J. Rousseau ; on assure qu’il jouit d’un bien-être très-honnête. Il paraît constant qu’outre dix-huit cents livres de rentes qu’il a, il reçoit, malgré toutes ses réclamations, la pension du roi d’Angleterre, qui est de deux mille livres.