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MÉMOIRES SECRETS

11. — On écrit d’Amiens que Rousseau s’est rendu dans cette ville, que ses partisans l’y ont accueilli avec tout l’enthousiasme qu’il est capable d’inspirer ; que quelques-uns même avaient proposé de lui rendre des honneurs publics et de lui offrir les vins de ville ; qu’un homme plus sage a représenté de quelle conséquence serait un pareil éclat en faveur d’un accusé, dans les liens des décrets et dans le ressort du parlement qui l’a décrété. On s’est contenté de le fêtoyer à huis clos, et il s’est rendu à Fleury, où il est chez M. de Mirabeau, l’auteur de l’Ami des hommes. On continue d’assurer que le moral se ressent chez lui beaucoup du physique, qui est en très-mauvais état.

13. — Mademoiselle Gaussin, cette héroïne du Théâtre Français, dont les talens et les grâces ont été si vantés, est morte il y a quelques jours d’une maladie de langueur. Elle avait quitté la Comédie, il y a plusieurs années, et cette aimable actrice n’a pas encore été remplacée. Elle réunissait aux charmes de la figure le son de voix le plus intéressant et le jeu le plus naturel, avec cette sensibilité d’âme qui va au cœur. Elle avait épousé, il y a plusieurs années, un danseur nommé Tavolaygo, qui la rouait de coups et est mort, heureusement, avant elle.

15. — Mademoiselle Clairon avait pris sous sa protection un jeune homme de seize ans, de la plus jolie figure du monde. Elle en voulait faire un acteur, et lui donnait elle-même des leçons de déclamation ; elle se complaisait à le former. Il paraissait répondre à ses vues ; ses talens se développaient ainsi que sa beauté. Elle l’avait surnommé l’Amour. Il n’était connu que sous ce nom. Par une de ces fatalités qui corrompent toutes les joies