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avril 1767

finiment mieux écrite, plus forte de choses hardies et philosophiques. C’est un religieux qui réclame contre ses vœux, qui en fait voir l’injustice, l’absurdité, l’impiété même. Tout cela est fait de main de maître, et bien des gens sont tentés de croire que M. de Voltaire y a mis sa touche[1].

12. — On exalte, on se transmet de bouche en bouche un mot sublime du sieur Le Kain : c’est sur la fin de l’année dramatique et dans les foyers qu’il a été dit. On félicitait cet acteur sur le repos dont il allait jouir, sur la gloire et l’argent qu’il avait gagné : « Quant à la gloire, répondit modestement cet acteur, je ne me flatte pas d’en avoir acquis beaucoup. Cette sorte de récompense nous est contestée par bien des gens, et vous-même me la contesteriez peut-être si je voulais l’usurper. Quant à l’argent, je n’ai pas lieu d’être aussi content qu’on le croirait : nos parts n’approchent pas de celles des Italiens, et en nous faisant justice, nous aurions droit de nous apprécier un peu plus. Une part aux Italiens rend vingt à vingt-cinq mille livres, et la mienne se monte au plus à dix ou douze mille. » — « Comment, morbleu ! » s’écria un chevalier de Saint-Louis qui écoutait le propos, « comment, morbleu ! un vil histrion n’est pas content de douze mille livres de rentes, et moi qui suis au service du roi, qui dors sur un canon, et prodigue mon sang pour la patrie, je suis trop heureux d’obtenir mille livres de pension. » — « Eh ! comptez-vous pour rien, Monsieur, la liberté de me parler ainsi ? » reprend le bouillant Orosmane.

  1. Il est très-vrai que M. de Voltaire donna à M. de La Harpe des conseils sur cet ouvrage, et le corrigea. Celui-ci le consultait sur toutes ses compositions. W. — Wagnière aurait dû ajouter que la préface qui précède cette Réponse est de Voltaire. — R.