Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 1 - 1762-1765 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
MAI 1762

de plus en plus. Le glaive et l’encensoir se réunissent contre l’auteur, et ses amis lui ont témoigné qu’il y avait à craindre pour lui. Il se défend là-dessus, en prétendant que ce livre a été imprimé sans son consentement, et même sans qu’il y eût mis la dernière main. Il y a longtemps qu’il y travaille ; sa santé ne lui a jamais permis de le continuer avec l’exactitude qu’il méritait. Il en avait laissé les lambeaux épars dans son cabinet ; bien des gens l’ont pressé vivement de donner son ouvrage au public, et se sont offerts de le rédiger : Rousseau a témoigné qu’il y avait bien des choses qu’il voulait supprimer, et on lui a répondu qu’on ferait tout cela. On n’en a rien fait, et il paraît in naturalibus.

1er Juin. — M. Rochon, jeune auteur qui avait une tragédie reçue aux Français[1], vient d’essuyer une disgrâce, qui indique combien il est désagréable d’avoir affaire à ce tripot de Comédiens.

Comme aucune pièce de ses devanciers n’était en état d’être jouée, on a fait avertir M. Rochon, qui s’est-présenté avec empressement. Mademoiselle Clairon, qui n’était pas contente de cet auteur, peu galant et peu complimenteur, d’ailleurs jalouse de voir occuper par mademoiselle Dumesnil le premier rôle dans la pièce, a paru désirer, sans affectation, qu’on fît une seconde lecture de cette tragédie, qu’elle ne connaissait point. L’auteur ingénu s’est prêté à son invitation, quoiqu’il pût s’en dispenser. Dès le commencement de la lecture, il s’est aperçu, mais trop tard, que mademoiselle Clairon n’était pas favorablement disposée : elle y a prêté très-peu d’attention, et s’est efforcée de détourner celle des autres ; de sorte que le pauvre auteur décontenancé n’a pu soutenir sa tra-

  1. Elle n’a pas été imprimée, et ne parait point avoir été jouée. — R.