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JUIN 1763

Nota. Cette lettre est signée par les acteurs et actrices de la Comédie.

On laisse réfléchir le lecteur sur le ridicule de la lettre et de la réponse.

13. — Les Comédiens Français ont joué aujourd’hui pour la première fois Manco-Capac, premier inca du Pérou, tragédie nouvelle des plus mal fates. Il y a un rôle de sauvage qui pourrait être très-beau ; il débite en vers tout ce que nous avons lu épars sur les rois, sur la liberté, sur les droits de l’homme, dans le Discours sur l’inégalité des conditions, dans l’Émile, dans le Contrat Social. Le tissu ne répond pas aux sublimes idées que suggère un tel personnage. On découvre aisément que l’auteur a fait un drame pour enchâsser les scènes, où il traite ces grandes questions, et non les scènes pour le drame. Au moyen de cela elles ne sont point fondues avec le reste de la pièce ; point d’unité, point d’assemblage régulier ; des discordances, des coutures qui paraissent de tous côtés ; quatre intérêts. Tel est le monstre dramatique dont nous parlons. Un roi qu’on donne comme bon, et qui, pour rendre ses peuples heureux, a voulu se mettre à leur tête ; qui, par le même zèle pour le bonheur des sauvages Antis, les a vaincus, enchaînés, etc., et veut les entretenir malgré eux sous sa domination ; un sauvage plein d’idées sublimes, qui, au mot où il reçoit la liberté de ce prince généreux, conspire contre lui ; un grand prêtre désigné par Manco pour être roi après sa mort, et qui veut l’assassiner en reconnaissance ; enfin un sauvage prétendu, ou du moins se croyant tel, qui a tout le fade, tout le langoureux de nos galans de la ville ; qui, élevé, chéri, instruit pour la guerre par le chef des sauvages, manque tout à coup