Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 1 - 1762-1765 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
MARS 1763

pour le Théâtre, que personne ne recueillait cette espèce de succession littéraire, ce jeune homme à cru pouvoir se présenter et attendre cette grâce du respect et de la reconnaissance des Comédiens pour leur bienfaiteur. Leur procédé noble en faveur de son cousin, de la petite-fille de Corneille, de Crébillon, etc., lui étaient garans de leur générosité. Ces histrions ont démenti en un instant toute la bonne opinion qu’avaient conçue d’eux les gens qui ne connaissent pas les ressorts du cœur humain. Comme cette grâce a été demandée sourdement, qu’ils n’ont pas espéré qu’elle fit un grand éclat, que le faste et l’ostentation sont ce qui les détermine plus ou moins aux bonnes actions, ils ont refusé tout net les entrées à l’arrière petit-fils de Racine, en ce que cette grâce porterait un grand tort à leurs intérêts, ont-ils dit, étant déjà trop multipliée. Leur âme vile et sordide s’est montrée à découvert en cette occasion.

22. — On annonce déjà pour la rentrée une actrice miraculeuse, mademoiselle de Maisonneuve, petite-fille de la femme de chambre de mademoiselle Gaussin. Cela fait une affaire d’État. Elle était engagée pour aller à Manheim chez l’électeur Palatin ; elle avait reçu cent pistoles. Heureusement qu’on a fait part à l’abbé de Voisenon de cette perte prochaine ; il l’a voulu voir, l’a fait déclamer, lui a trouvé les talens les plus décidés ; il est parti sur-le-champ pour Versailles, en a parlé à M. le duc de Praslin, à M. le duc de Choiseul, à madame la marquise ; on est convenu qu’il l’amènerait chez cette dernière, qu’on la ferait jouer devant le roi, en voilant Sa Majesté, pour que la jeune personne n’en fût pas éblouie. Cela s’est exécuté avec le plus grand succès. On