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MÉMOIRES SECRETS

main. La pièce, qui devait être intitulée l’Antipathie vaincue, est nommée l’Anglais à Bordeaux. L’ambassadeur d’Angleterre a demandé ce changement. Au reste, le sieur Favart l’a portée chez tous les ministres étrangers, pour savoir s’ils n’y trouveraient rien qui pût les blesser. Ils en ont été très-contens. Pour les flatter davantage, on a ordonné de jouer Brutus, tragédie de M. de Voltaire, où l’on sait qu’il y a un éloge magnifique de la dignité des fonctions d’un ambassadeur[1].

14. — L’Anglais à Bordeaux a été reçu avec beaucoup d’applaudissement. On y a trouvé de l’esprit infiniment, mais de l’esprit à la Voisenon, délicat, maniéré, précieux, revenant souvent sur la même pensée, qu’il décompose et reproduit sous toutes sortes de faces. Cette pièce en un acte ne peut figurer près du Français à Londres[2]. Celle-ci est infiniment supérieure. Traçons-en l’esquisse en deux mots. Un milord est prisonnier d’un Français, qui a une sœur folle à l’excès ; il en devient amoureux : le frère l’est de la fille de l’Anglais, cherche tous les moyens de vaincre l’antipathie de celui-ci contre notre nation, et comme il refuse tous ses services, il intéresse le valet de son prisonnier à lui faire tenir une lettre de change de deux mille guinées de la part d’un de ses amis de Londres. Cet ami arrive pour épouser la fille du milord, qui lui était promise : il ne la trouve pas bien favorablement disposée ; il se doute qu’elle a formé quelque inclination. Son père survient,

  1. L’ambassadeur d’un roi m’est toujours redoutable ;
    Ce n’est qu’un ennemi sous un titre honorable,
    Qui vient, rempli d’orgueil ou de dextérité,
    Insulter ou trahir avec impunité.

    Ac. I, sc. i.
  2. De Boissy. — R.