Page:DeGuise - Le Cap au diable, 1863.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 9 —

III


C’est quelquefois au moment où l’on s’estime heureux que l’infortune vient nous frapper. Tandis que la famille St.-Aubin jouissait paisiblement des fruits d’une vie vertueuse et exempte d’ambition ; heureuse autant du bonheur des autres que du sien propre, de graves événements se préparaient contre les malheureux Acadiens, dans l’ancien et le nouveau monde. Ce pays était le point de mire des flibustiers anglo-américains.

En butte aux actes de rapines et de tyrannie de toutes sortes, les Acadiens avaient été forcés de s’organiser militairement pour mettre un terme aux infâmes déprédations de leurs ennemis.

L’histoire avait enregistré antérieurement plusieurs hauts faits éclatants de leur bravoure. Ces faits démontrent ce que peut une poignée d’hommes héroïques, ne comptant que sur leurs seules ressources, qui s’arment vaillamment sans s’occuper de la force pécuniaire ou numérique de ceux qu’ils ont à combattre, mais qui ont résolu de défendre jusqu’à la fin, leur religion, leurs foyers et leurs droits. Combien n’y eut-il pas de luttes sanglantes et désespérées où le lion anglais dût s’avouer battu par le moucheron acadien, et pour ainsi dire, obligé de fuir honteusement devant lui… Mais l’orgueil britannique s’insurgeait et écumait de rage, en voyant ces quelques braves tenir tête à ses nombreuses armées ! Le gouverneur Lawrence crut plus prudent et plus sûr, là où la force avait échoué, d’employer la ruse et la perfidie. Le plan fut traitreusement combiné et habilement exécuté.

Vers la fin d’août 1755, cinq vaisseaux de guerre, chargés d’une soldatesque avide de pillage, mirent à la voile et vinrent jeter l’ancre en face d’un poste florissant par son commerce, la fertilité de ses terres et l’industrie de ses habitants. On fit savoir à plusieurs des cantons voisins qu’ils eussent à se rendre à un endroit indiqué pour entendre une importante communication, qui devait leur être donnée de la part du gouverneur. Plusieurs soupçonnant un piège prirent la fuite et se sauvèrent dans les bois, en entendant cette proclamation. Mais le plus grand nombre, avec un esprit tout chevaleresque, se confiant à la loyauté anglaise, se rendit à l’appel.

Chaque année, M. St.-Aubin était obligé de faire un voyage