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— Madame, à ma messe de ce matin, j’ai rendu grâce à Dieu de tout cœur, en voyant deux personnes dans l’église qui assistaient au saint sacrifice et priaient avec recueillement et ferveur : c’étaient cette pauvre veuve Denis et son fils. Celui-ci était parti depuis bien des années pour des voyages périlleux. Jamais elle n’en avait entendu parler et elle le croyait mort depuis longtemps, lorsqu’hier il est arrivé, lui apportant une jolie somme d’argent, qui leur permettra de vivre dans l’aisance. Tous deux ce matin ils venaient remercier Dieu.

— Heureuse mère, dit Madame St.-Aubin, et un profond soupir souleva sa poitrine.

— Eh ! madame, reprit-il, j’ai depuis pensé à vous à vos malheurs et je me suis dit que Dieu pourrait bien à vous aussi rendre ce que vous croyez avoir perdu.

— Oh ! monsieur, monsieur, dit-elle, et ses yeux s’inondèrent de larmes. Je n’espère plus de bonheur sur la terre, que celui qu’après Dieu, vous et la charité m’avez fait. Revoir ceux que j’ai perdus, oh ! non, c’est impossible. — Et ses larmes redoublèrent. — Il y a longtemps déjà qu’ils dorment dans le tombeau.

— Mais, reprit le curé, il dormait bien, lui aussi, dans le tombeau, Lazare, lorsque Dieu le rendit à ses sœurs. Il avait tout perdu, lui aussi, le saint homme Job, lorsque Dieu lui rendit avec usure ce qu’il croyait, perdu pour toujours.

— Oh ! par grâce, monsieur, dit la pauvre femme en sanglotant ; par grâce, ne me faites pas espérer, le réveil serait trop terrible. Ou, reprit-elle avec exaltation, avez-vous quelques nouvelles de mon mari ? S’il en est ainsi, ajouta-t-elle joignant les mains, par pitié et au nom de ce que vous avez de plus cher, dites-le moi sans me faire attendre plus longtemps.

— Madame, il serait mal à vous de douter de la toute puissance et de la bonté de Dieu. La vie pour vous a été comme un de ces jours où le soleil se lève radieux et brillant pendant quelques instants, puis de sombres nuages viennent en cacher l’éclat pendant quelque temps : après les avoir dissipés, vous voyez l’astre du jour reparaître plus brillant qu’auparavant. Peut-être, madame, votre vie en est-elle à cette dernière phase et les ombres épaisses qui l’ont obscurcie vont-ils se dissiper comme le soleil dissipe les nuages.

Madame St.-Aubin se précipita à ses genoux :