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bien des tours et des détours l’un d’eux trouva moyen de briser la glace ; le sermon que le curé avait fait la veille fournit l’occasion d’entrer dans le sujet. Le bon prêtre leur avait longuement parlé de charité et les avaient engagés, répétèrent-ils au pêcheur, de la pratiquer comme celui-ci l’avait fait, à l’occasion de la pauvre femme étrangère, il les avait assuré que s’ils mettaient de côté la part du bon Dieu, ils verraient les bénédictions du ciel se répandre dans leurs maisons et sur leurs champs. Qu’alors ils avaient fait ensemble une tournée et que c’était avec empressement que chacun avait fourni. Tout le monde avait voulu s’associer à la bonne œuvre. Qu’ils apportaient une ample provision de comestibles de toute sorte et des vêtements. Que de plus une pauvre veuve viendrait prendre soin de la malheureuse folle pour ne pas déranger la femme du pêcheur de son travail, car le filage et l’ouvrage ne lui manquerait pas ; et qu’enfin on ferait table commune.

Sans vouloir entendre un seul mot de remercîment, les deux habitants sortirent précipitamment et se mirent à décharger les voitures. Certes ils n’avaient pas trompé le pêcheur ; il y avait là, dans ces deux voitures, des provisions de toutes sortes pour plus d’une année.

Belle et sainte coutume que celle des tournées, où nous voyons des hommes honnêtes et laborieux, laisser leurs occupations pour parcourir les maisons et rapporter, le soir, le fruit de leurs quêtes et entendre les bénédictions d’une famille mourante de faim, à laquelle on a apporté l’abondance et le bonheur.

Madame St.-Aubin passa deux années dans cette demeure où elle avait attiré avec les bénédictions du ciel une honnête aisance, car la charité des habitants de l’endroit ne s’était pas ralentie un seul instant. Souvent elle fut visitée par le vénérable pasteur et quelques autres personnes notables de l’endroit. Un médecin plus instruit dans l’art de guérir que dans la science des grands mots, lui prodigua des soins assidus et au bout de ce temps il eut la satisfaction de voir ses peines couronnées de succès.

Une douce et triste résignation succéda, sur la figure de Madame St.-Aubin, à son air d’égarement. Ses cheveux avaient considérablement blanchis, et tous ses traits portaient l’empreinte du deuil et de la souffrance.

Pour lui assurer plus de distractions, le pasteur, avec quelques âmes charitables lui louèrent une couple de chambres auprès de