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VIII


Mais il est temps que nous revenions à Madame St.-Aubin. Comme nous l’avons dit déjà, elle fut recueillie en touchant le rivage par un pauvre pêcheur qui la transporta, plus morte que vive, dans sa cabane. Les soins intelligents et prolongés qu’ils lui donnèrent, la rappelèrent à la vie. Mais sa raison avait été ébranlée par les terribles événements que nous avons rapportés. Elle fut longtemps avant que de pouvoir se remettre des commotions qu’elle avait éprouvées. Souvent dans la journée et même la nuit elle échappait aux mains des braves gens qui l’avait recueillie, s’élançait vers la plage, puis alors dans le silence et les ténèbres on entendait une voix demander avec désespoir à la vague de lui rendre son enfant. Quelquefois elle l’implorait d’un ton suppliant ; ses paroles étaient entrecoupées par moments, par des sanglots à fendre l’âme ; d’autres fois par des chants si tristes, si plaintifs, qu’on ne pouvait les entendre sans verser des larmes.

Ce spectre que nous avons vu dans le premier chapitre de ce récit ; le lecteur le voit ; c’était Madame St.-Aubin.

Plusieurs semaines se passèrent ainsi et jamais dans le foyer où elle était venue s’asseoir on ne songea à se demander si elle était une nouvelle charge pour la famille ; bien au contraire, le meilleur morceau, et il était rare qu’il en entra dans cette pauvre cabane, lui était toujours destiné ; gaiement on partageait la tranche de pain, laissant à la pauvre dame, comme on appelait Madame St.-Aubin, la meilleure part, et s’il n’y en avait que pour elle, le souper des pauvres gens était alors remis au lendemain.

Les choses en étaient à cet état, lorsqu’un lundi soir deux voitures, pesamment chargées, s’arrêtèrent devant la cabane. En regardant par la fenêtre on reconnut deux des plus respectables habitants de l’endroit. Ils frappèrent à la porte et entrèrent.

Il était facile de voir que la mission diplomatique dont ils étaient chargés n’était pas aisée à remplir. Il ne s’agissait de rien moins que de faire accepter au pauvre pêcheur les présents qu’ils lui apportaient, sans blesser sa susceptibilité et son amour propre. Enfin après s’être gratté la tête plusieurs fois, après