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cherchèrent à prendre terre dans cet état où le gouverneur leur proposa de s’établir comme esclaves. Laissons encore une fois parler la voix éloquente de M. Rameau :

«  Ce fut une triste et déplorable odyssée que celle de ces malheureux enlevés subitement à la paix de la vie domestique pour subir toutes les horreurs de la guerre la plus violente et le bouleversement de leur fortune, de leurs affections. Jetés sur les vaisseaux, dans l’anxiété d’un avenir inconnu, ils n’avaient même pas, pour se consoler l’espoir, le rêve de la patrie : car derrière eux, l’incendie, la ruine, la dispersion générale, avaient détruit la patrie ; il n’y avait plus d’Acadie ! et cinq ans après, on ne pouvait plus reconnaître le pays où avaient fleuri leurs villages.

« Dirigés sur les colonies anglaises, il se trouva qu’elles n’avaient point été prévenues de cette transportation ; et dans plusieurs endroits on eut l’inhumanité de ne point les accueillir sur la côte. C’est ainsi que 1500 de ces malheureux furent repoussés en Virginie, et cet exemple eut des imitateurs dans une partie de la Caroline. 450 hommes, femmes et enfants destinées à la Pennsylvanie, échouèrent près de Philadelphie ; le gouvernement de cette colonie n’eut pas honte, pour se dégrever des secours nécessaires à ces malheureux naufragés, de chercher à les faire vendre comme esclaves ; les Acadiens s’y opposèrent avec une énergique indignation, et ce projet n’eut pas de suite. Mais cette bassesse de cœur couronna dignement la conduite des colonies anglaises, dans toute cette affaire. Auteurs de la ruine des Acadiens, héritiers avides de leur spoliation, les Américains eurent l’impudeur de leur refuser le secours et même les égards dus au malheur. Ces évènements, si tristes qu’ils puissent être, sont d’une importance historique bien secondaire sans doute ; mais il ne méritent pas moins de fixer notre attention, car rien n’est plus fécond en justes enseignements que ces actions très-simples de la vie commune, où les peuples et les hommes se révèlent pour ainsi dire en déshabillé, sans que ni passion ni apprêts, les mettent hors de leur naturel ; on y trouve peut-être sur les sociétés et sur les individus, des données plus exactes que dans la solennité des grands faits historiques ; et si on étudie toute la suite de l’histoire des États-Unis, on se convaincra facilement en effet combien le caractère de cette nation manque généralement de générosité et de grandeur.