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le radeau qui, un instant englouti, était revenu péniblement à la surface. Ceux qui étaient sur la frêle embarcation purent suivre d’un œil désespéré les efforts de ce généreux marin pour sauver sa vie, sans qu’ils pussent eux-mêmes lui porter aucun secours. Enfin ils virent la vague le recouvrir, puis celui-ci revenir à la surface pour être englouti encore, ils le virent, dis-je reparaître une troisième fois, mais une dernière nappe d’eau le recouvrit pour toujours. La mer comptait une victime de plus ! Pendant cette scène, un affreux craquement s’était fait entendre dans la direction du vaisseau, il venait de s’ouvrir. Ses débris et les monceaux de cadavres qu’il contenait entourèrent le radeau en un instant. Madame St.-Aubin était mourante.

Lorsque l’attention de Tom fut un peu détourné de ce navrant spectacle, son oreille exercée de marin l’avertit que la mer se brisait à une bien faible distance d’eux sur les rochers de la côte : «  Courage, » dit-il à Madame St.-Aubin, «  courage pour vous et votre chère petite enfant, dans peu d’instants nous toucherons la terre. » Ces quelques paroles ranimèrent la malheureuse femme. La mer était encore grosse et houleuse, mais le vent diminuait sensiblement et le jour commençait à poindre. Dans une éclaircie, ils aperçurent à quelques centaines de pas d’eux, les rochers d’un cap, et ce cap c’était le «  Cap au Diable » d’aujourd’hui. Cette vue ranima leur espoir. Ce qui se passa de temps avant qu’ils y parvinssent fut de peu de durée, mais Dieu sait ce qu’endurèrent les malheureuses victimes du naufrage pendant ce court trajet.

Ils étaient à la veille de toucher le rivage, lorsqu’une mer plus haute, plus furieuse encore que toutes les autres, jeta violemment le radeau sur un écueil à fleur d’eau et le mit en pièces. Il y eut un dernier cri d’angoisse parti du sein de Madame St.-Aubin, elle fut lancée à l’eau ; Tom s’y précipita aussitôt pour la secourir et, l’enlaçant dans ses bras, il nagea avec elle vers le rivage. Quelques instants après, on eut pu voir, gisant sur la plage, le cadavre du pauvre matelot dont la tête avait été brisée sur un rocher, en préservant Madame St.-Aubin. À quelques pas plus loin, le corps inanimé de celle-ci, tandis que les restes du radeau emportant l’enfant mourante allaient aborder dans une petite anse un peu plus éloignée.