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La rage des pirates n’était pas encore satisfaite, il fallait de nouvelles dépouilles à leur rapacité et de nouvelles victimes à leur vengeance.

Peu de temps après les événements que nous venons de rapporter, on signala au large un vaisseau de guerre portant pavillon anglais. Instruite par l’expérience, la petite colonie, après avoir recueilli tout ce qu’elle avait de plus précieux, crut prudent de se sauver dans les bois. Madame St.-Aubin elle-même, réunit tout ce qu’elle put avec l’aide de ses domestiques et de Jean Renousse, et dut aller les rejoindre en toute hâte, car le vaisseau s’approchait de la côte avec une effrayante rapidité. Il n’y avait pas longtemps qu’elle avait abandonné ses foyers si chers pour s’enfoncer dans les bois avec ses fidèles domestiques, lorsque gravissant une petite éminence où ses compagnons d’infortune l’attendaient, elle vit les tourbillons de flamme et de fumée s’élever dans la direction de sa demeure et de celles des malheureux qui l’entouraient. Ce navrant spectacle leur apprit à tous que les vandales étaient à leur œuvre de pillage et de destruction. Longtemps elle contempla les cendres brûlantes de sa pauvre demeure qui s’élevaient et retombaient tour-à-tour comme font chacune de nos illusions du jeune âge. Elle jeta alors un coup-d’œil en arrière, vers les jours heureux qu’elle avait passés sous ce toit fortuné, vers les objets si chers qu’elle y rencontrait à chaque instant, vers les personnes qui l’entouraient et les autres qui, après être venues lui demander des consolations et des secours, s’en retournaient en lui offrant des larmes de gratitude et de bénédictions : mais sa pensée se reporta surtout sur la main bien-aimée qui après Dieu lui avait fait ce bonheur si tôt passé. Hélas ! elle n’était plus auprès d’elle pour la soutenir et la protéger avec son enfant, cette main tant aimée et tant regrettée ! Reverrait-elle jamais celui auquel elle adressait chaque jour une pensée, un souvenir, une larme ! Et lorsque la dernière flamme vint jeter une lueur vacillante et disparaître pour toujours, elle comprit alors qu’une barrière insurmontable venait de s’abaisser entre elle et son passé. Il ne lui restait plus désormais que l’avenir, mais quel avenir ? L’hiver s’approchant avec son nombreux cortège de froid, de privations et de misères ; nul asile pour la recevoir, à charge aux pauvres gens qui n’avaient pas même de quoi se nourrir, qu’allait-elle devenir ? Accablée sous le poids de tant de malheurs elle sentait le désespoir la gagner, lorsque tombant à genoux, elle s’écria : « Mon Dieu, mon Dieu, vous êtes maintenant notre seul et unique