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en proie, Jean Renousse ne put s’empêcher de remarquer un point noir qui suivait l’embarcation. C’était Phédor. Le noble animal, quoique blessé, avait voulu suivre son maître, pour le protéger et le défendre au besoin. Il réalisait une fois de plus l’idée du peintre qui représente le chien suivant seul le corbillard qui conduit son maître à sa dernière demeure. C’est le dernier ami qui reste quand nous avons tout perdu du côté des hommes ! Il vit tout-à-coup un matelot se lever et asséner un coup de rames sur la tête du fidèle serviteur ; celui-ci poussa un gémissement plaintif et disparut. C’en était trop, épuisé par le sang qu’il avait perdu et par les émotions de la journée.

Jean Renousse perdit connaissance. Lorsqu’il revint à lui, Phédor, couché auprès de lui, léchait son visage et ses mains, comme s’il eût voulu le rappeler à la vie. La nuit était venue, les dernières lueurs de l’incendie doraient encore l’horison. C’en était fait ! les anglais avaient accompli leur acte odieux de vandalisme et d’implacable vengeance !…



IV


Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis le moment fixé par M. St.-Aubin pour le retour. Que pouvait-il lui être arrivé qui le retint si longtemps, lui toujours si exact à revenir à l’heure dite. Déjà accompagnée de la petite Hermine, Mme. St.-Aubin avait parcouru des distances assez considérables pour aller à sa rencontre, et chaque fois, elle était toujours revenue de plus en plus triste. C’était le soir de la dixième journée après le départ de M. St.-Aubin. Assise dans le salon et tenant son enfant dans ses bras, elle ne pouvait se défendre du vague et inexprimable sentiment qui l’obsédait. Pour la première fois de sa vie, les babillages et les câlineries de sa petite fille ne pouvaient la tirer de sa sombre préoccupation. Le ciel était bas et chargé, le feuillage jaunissant qui entourait sa demeure et le froid vent de nord qui s’était élevé, ajoutait encore à sa tristesse. Parfois une feuille desséchée, poussée par la brise, courait dans l’avenue déserte, où, d’une minute à l’autre, elle espérait voir arriver celui qu’elle attendait avec tant d’angoisses.