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Ce fut un regret général dans le parti conservateur de Québec, qui fondait, avec raison, de brillantes espérances sur le candidat battu. Nous estimons, nous, au contraire, que les électeurs de Kamouraska rendirent, ce jour-là, — sans le vouloir — un service signalé aux lettres canadiennes, en n’accordant pas à M. Routhier leur confiance. Certes, il était du bois dont on fait les hommes d’État ; mais, franchement, si la politique l’avait absorbé, comme tant d’autres, pour l’épuiser et le broyer entre ses meules implacables, nous l’aurions vu bientôt ministre, premier ministre peut-être, mais admirerions-nous dans nos bibliothèques les œuvres que nous sommes si fiers de montrer à l’étranger ? Entendrions-nous, dans les grandes circonstances où la nationalité cherche un interprète de ses passions et de ses sentiments, cette voix d’un charme si pénétrant, qui connaît si bien le chemin des cœurs et sait, avec un art incomparable, faire vibrer les fibres du sentiment ? Sans doute, nous aurions un orateur politique de plus pour remuer les foules, les agiter, les tenir sous l’empire des passions factices ; mais il nous manquerait l’orateur académique, au style soigné, à la parole qui se développe en périodes harmonieuses pour traduire les élans du cœur et qui possède l’organe qu’il faut pour développer ces grandes pensées, partage des hommes d’étude et de recueillement. Au reste, ne vous semble-t-il pas que ceux que Dieu a marqués au front du sceau du génie littéraire ne devraient point s’aventurer dans la mêlée politique ? Leur place n’est-elle pas plutôt en dehors de la foule, loin du bruit et des clameurs populaires ?

Comme les Chapleau, les Laurier et tant d’autres arrivés au sommet dans notre société, qui ne connaît pas de barrière au talent, M. Routhier est un enfant du peuple. Il a vu le jour sur les bords du lac des Deux-Montagnes. C’est là qu’il a subi ces premières impressions qui ont souvent tant d’influence sur la destinée de l’homme, selon l’inspiration qui les fait naître. Nous songions à lui demander à lui-même de nous communiquer ses premiers souvenirs, lorsque, par une bonne fortune inespérée, un ami nous passa quelques notes tirées de lettres intimes du juge Routhier, sur cette période de sa vie :

« Vous me demandez quelques renseignements sur mon enfance. C’est m’induire en tentation de vous écrire un volume : car c’est me reporter à une époque pleine de mille souvenirs touchants, qu’il me