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observation au sujet du juge Routhier. À quelqu’un qui s’étonnait de le voir toujours en dehors des promotions, un homme, intelligent pourtant, quoique cela ne soit pas mis en relief par son explication, répliquait : « Le juge Routhier est trop bon écrivain pour être bon juge. » Comme si un décret de la cour perdait à être rendu en bon français, comme si les d’Aguesseau, les Montesquieu et tant d’autres ne comptaient pas parmi les premiers magistrats de France, en tenant aussi leur place parmi ses premiers écrivains ! Et encore, à l’heure présente, M. Quesnay de Beaurepaire, le procureur général de la République, qui a mené si rondement l’affaire Boulanger, n’est-il pas connu dans le monde des lettres ? Les romans de Gaston de Glouvet et de Lucie Herpin, pseudonymes de M. de Beaurepaire, ont été autant de degrés qui l’ont aidé à gravir la haute position qu’il occupe.

L’élégant écrivain à qui revient, dans notre petite république littéraire, la place qu’y tenait jadis M. Chauveau, c’est-à-dire la première, est doublé d’un homme de bonne compagnie. Son intimité est précieuse à qui a su la gagner. Quelle causerie charmante que la sienne ! En l’écoutant, on perd conscience du temps qui s’envole. Sa conversation s’échappe en saillies pleines de sel attique, éclate en bons mots, comme sa gaieté communicative. Avec cela, il lit comme Legouvé et dit le monologue à rendre jaloux les gens du métier. Madame Routhier (née Clorinde Mondelet) est une femme d’une haute intelligence, qui a la foi de son mari, une foi active qui la fait se consacrer aux bonnes œuvres. Les nombreux citadins en villégiature chaque été à La Malbaie apprécient son zèle en allant s’agenouiller dans la dévotieuse et jolie chapelle que sa persévérance dans la voie souvent pénible des entreprises religieuses a élevée. De nos jours, certains philosophes ne voient dans le monde moral que l’hérédité, surtout des mauvaises qualités. C’est une théorie dangereuse et bien contestable. Cependant, lorsque nous rencontrons les charmantes filles du juge Routhier, nous inclinons, nous aussi, à croire à l’hérédité du talent et de l’intelligence. L’une peint à ravir, l’autre excelle à rendre sur le piano la musique de Rossini ou de Wagner, et la troisième n’aurait qu’à le vouloir pour se faire un nom dans la littérature. Toutes trois sont l’amabilité même.

Notre éminent magistrat a aussi un fils très bien doué pour les beaux-arts, particulièrement pour la musique et le dessin. Son père a voulu en faire un avocat ; mais la vie de bureau n’allait pas à son